L’équipe de Pocket Gamer France est partie à la rencontre de Yann Fripp, le créateur de Wawa Land, un jeu de plateforme disponible sur iPhone et iPad. Avec lui, nous avons tiré un bilan de son expérience en tant que développeur et avons fait le point sur ses projets à venir.


Proposer autre chose qu’un simple jeu

Un développement passionnant, mais surtout difficile à en croire Yann Fripp, qui nous a révélé l’envers du décor. Un décor pas aussi idyllique que celui qu’Apple dresse au fil de ses keynotes, loin du succès insolent de Rovio par exemple. Pour autant, le jeune développeur lyonnais nous confirme entre « 130.000 et 150.000 » téléchargements avec une version iPad « en constante progression avec plus de 1000 joueurs recensés à l’heure actuelle ». Un joli succès qui découle d’un travail acharné « pendant quasiment deux ans » pour Yann, qui avait auparavant travaillé pour des studios reconnus dans le monde du jeu vidéo. Mais ce qui est intéressant de noter, c’est le travail effectué par le développeur pour réussir à faire connaitre son jeu, et c’est là que « l’on touche les limites de l’App Store » nous confesse-t-il. Car malgré ses milliards de téléchargements, l’App Store d’Apple souffre d’un manque évident de visibilité : « C’est simple, la première semaine, on est mis en avant dans les nouveautés, il y a alors un énorme pique de téléchargement », un pique vécu comme un véritable bol d’air frais par Yann, mais qui redescend trop rapidement en dépit « d’une excellente moyenne parmi les notes des utilisateurs ». Le vrai travail commence alors pour lui avec un domaine « que je connais peu » et qui nécessite beaucoup de travail, faire connaitre son jeu aux autres joueurs, ceux n’ayant pas forcément les yeux rivés sur le magasin d’application d’Apple.


Plus de 24 heures par jour

Seul, sans éditeur pour l’aider, difficile d’imposer ses volontés à des sites internet : « J’ai dû envoyer des milliers de mails à différents sites, certains ne m’ont jamais répondu, et globalement, j’ai dû recevoir un peu plus de 100 réponses », avec parfois plusieurs surprises à la clef : « on m’a demandé de payer pour faire parler de mon jeu, ce que je trouve quand même fou ». Une expérience éprouvante, mais qui est au final intéressante et surtout concluante, car «  de gros sites ont parlé de mon jeu ce qui lui a permis de se faire une place au soleil ». Une fois Wawa Land disponible, Yann ne s’attendait sans doute pas forcément à la partie immergée de l’iceberg, à savoir le SAV. Un service après-vente qu’il fait lui-même et seul. « C’était quelque chose que je voulais faire absolument, car je trouve que ça rajoute un certain plus et que ça rapproche les utilisateurs du développeur, en terme d’image, ça n’a pas de prix », et à raison, cela contribue grandement à faire connaitre le jeu, car les utilisateurs savent qu’ils sont « aidés par le créateur en personne », un SAV qui va de la simple aide au sein d’un niveau « à une réclamation pour un bug que je n’avais pas vu », nous confie-t-il. C’est « très enrichissant, mais cela demande beaucoup de temps, j’ai rarement vu le temps défiler aussi vite, il me faudrait plus de 24 heures par jour, mais je ne les ai pas », le choix de répondre personnellement aux attentes des fans plutôt que de laisser un forum le faire n’est pas anodin, mais demande de l’investissement.


Un App Store pas toujours très juste

Lorsque l’on interroge Yann sur le système de classement de l’App Store, il se révèle partagé, mais fustige toutefois le système qui manque de clarté et ne donne pratiquement jamais sa chance aux petits développeurs. Car « L’App Store est dans une situation critique, avec un classement qui ne se renouvèle quasiment jamais, et c’est l’objectif d’un développeur, une fois qu’il s’y trouve, il y a un effet qui lui permet de truster ce même classement, car un utilisateur ne pas certainement pas aller fouiller les autres sections du service, et se contentera de télécharger le top 100 », triste vérité. L’autre gangrène de l’App Store, la copie, est aussi au cœur d’un problème plus global. On ne compte plus les nombreuses reprises de concepts en reprenant nom ou logo pour piéger l’utilisateur et capitaliser sur le succès de l’application copiée. A cet état de fait, Yann se dit « intransigeant, je suis d’accord pour rendre hommage, c’est d’ailleurs mon cas avec un clin d’œil envers Angry Birds, mais si quelqu’un s’amuse à reprendre mon travail, je ne chercherai même pas à voir avec Apple, j’attaquerai direct », en cause, son travail qu’il a mené pendant plusieurs mois et dont il est fier : « j’aime ce que j’ai fait, et ça me choquerai de voir mon travail repris sans vergogne ». Quant au piratage « je ne peux rien y faire, lors du lancement de Wawa Land, on arrivait à plus de 90% de joueurs pirates, aujourd’hui ça s’est calmé, mais il y en a toujours. J’essaye de me rassurer en me disant que certains n’y jouent pas, et qu’ils cherchent à avoir le plus d’applications possibles sur leurs smartphones et que ce ne sont pas vraiment des joueurs prêt à acheter », il n’y a de toute façon pas grand-chose à faire, si ce n’est compter sur Apple pour faire quelque chose, mais « est-ce qu’Apple peut y faire quelque chose justement ? », me questionne Yann, pas si sûr.


Des projets plein la tête

Au fil de notre entretien et des cafés dans une brasserie lyonnaise, il est intéressant de constater que le profil type du développeur n’est pas franchement celui du geek enfermé dans sa cave rampant jusqu’à la salle à manger pour tenter de se préparer quelque chose. Yann Fripp est un vrai entrepreneur, et à des projets plein la tête : « je veux capitaliser sur le succès et la renommée de Wawa Land, c’est un petit peu mon bébé, tu vois », et il n’a pas prévu de le lâcher de sitôt puisque sa licence créée de toute pièce trustera l’actualité jusqu’au printemps 2013 avec une version Mac notamment. Mais quand on le questionne sur Android ou même Windows Phone, Yann n’est pas intéressé « sur Android, on ne peut tout simplement pas rentabiliser un projet, les utilisateurs de l’OS de Google sont tellement habitué du gratuit, que même avec de la publicité, je n’arriverai pas à rentabiliser Wawa Land », et il en va de même sur l’OS mobile de Microsoft « qui est encore pire » selon lui, tout en ne refermant pas complètement cette porte : « Si je trouve des gens motivés pour le faire à ma place, ça pourrait se faire », l’espoir n’est donc pas totalement anéanti. Et si c’était à refaire ? « Je choisirai sans aucun doute un éditeur », car pour prendre en charge le SAV ou même le marketing, il est « plus facile de se faire une place sur des sites d’actualités lorsque l’on s’appelle EA Mobile, Gameloft ou Chillingo ». Mais pas question d’intégrer l’un de ses prestigieux éditeurs pour autant : « j’ai eu beaucoup de propositions, mais je veux garder mon indépendance, faire ce que je veux quand je veux », à l’heure actuelle, il a d’ailleurs plusieurs projets en tête « une dizaine », nous confie-t-il, dont seulement un ou deux sont viables à long terme et pourraient arriver sur l’App Store. Yann Fripp n’a en tout cas pas dit son dernier mot, en dépit d’une fin d’entretien sous le ciel pluvieux de Lyon.