Alors que les Virgin Megastore signent sans doute leur arrêt de mort, une autre grande chaîne de distribution dédiée aux jeux vidéo fermera ses portes le 20 janvier prochain. Analyse et rencontre.

Dans la froideur d’un hiver qui n’est visiblement pas prêt de s’arrêter sur de bonnes nouvelles pour l'emploi, les soldes ont débuté. L’occasion pour beaucoup de faire de bonnes affaires, -20, -30% même. Mais il y a un magasin chez qui les opportunités sont encore meilleures, il s’agit de GAME. Car depuis mercredi, la fermeture annoncée officieusement de cette chaîne qui est composée de plus de 700 salariés a bouleversé les habitudes des vendeurs avec des réductions allant de -30% pour les consoles neuves et atteignant les -60% sur les jeux neufs et d’occasions, ainsi que les accessoires. Après cette première journée mouvementée, nous avons rencontré Christian*, responsable de l’un de ces magasins GAME, qui s’est confié à nous pour mieux nous présenter l’envers du décor.

L’envers du décor

Un décor loin d’être aussi idyllique que ne le laisse penser la fonction ou certains joueurs adolescent : « depuis maintenant un an, nous [les employés] n’avons plus aucun rabais, nous sommes surveillés comme jamais, les stocks ne peuvent pas baisser sans une rentrée d’argent derrière », lance Christian*, qui a l’air complètement désabusé et qui semble surtout abasourdi. Mais lorsqu’on lui fait remarquer qu’il semble tomber de haut, il réplique « non, on le savait déjà tous que les magasins restants n’allaient pas tarder à subir le même sort, mais ça fait déjà plusieurs années que je suis dans la boite, c’est toujours compliqué », avoue-t-il pensif. Mais ce qui est marquant dans cette conversation et dans cette tranche de vie qu’il nous raconte, c’est le mutisme de la direction : « Alors que la presse a eu la confirmation de la vente des locaux et de la fermeture de l’ensemble des magasins, on a encore reçu un mail nous informant que tout allait bien et qu’il ne fallait pas s’inquiéter. On nous mène en bateau depuis le mois de septembre ».

« Lorsque j’ai ouvert ce matin et qu’il a fallu que j’annonce à mon équipe, désormais réduite à deux personnes, que le magasin fermerait bien en janvier malgré le mail de la direction et du responsable de zone, je me suis dit qu’on avait été trahis », une trahison d’autant plus perceptible qu’elle se fait sans véritables moyens de savoir ce qu’il va vraiment advenir : « à l’heure actuelle, étant donné que l’on nous dit que tout va pour le mieux, on ne sait pas, mais il y a déjà deux autres magasins de jeux vidéo, une Fnac, un hypermarché dans le centre, je me demande bien qui va vouloir nous replacer ou reprendre les locaux », lorsqu’on lui indique que Free est intéressé, il n’est guère étonné « même si le secteur des téléphones marche mal, Free est le seul à pouvoir s’implanter et créer une dynamique sur le long terme étant donné qu’ils n’ont quasiment pas de boutiques physiques ».

La genèse

« En fait, on a commencé à vraiment voir le bout du tunnel la seconde semaine de Noël où on proposait déjà des rabais tout simplement scandaleux », constate Christian, « mais c’est lors de l’ultime livraison où il n’y avait quasiment rien, même pas de WiiU, que l’on s’est dit que tout n’allait pas se passer comme l’espérait la direction dans son mot de vœux de fin d’année ». Car comme l’a constaté ce responsable de magasin GAME, il n’y a plus eu de livraisons depuis le 27 décembre dernier. Que vont devenir les réservations alors ? « Elles ne seront pas honorées, on n’a pas prévenu les clients, certains s’en rendent compte seul, on ne peut pas les prévenir, car on n’a plus du tout accès à la base de données qui semble s’être évaporée », et pour les jeux actuellement encore en vente, ou même les consoles, les rabais sont très importants, mais la journée qui se termine laisse un gout amer : « On a fait beaucoup de ventes, mais même s’il y a eu du cash, la plupart du temps, c’est de la perte. On ne peut définitivement pas vendre une Xbox 360 à quasiment 90€, un Assassin's Creed III à 10€, ou un Hitman : Absolution à 15€ en faisant de la marge », le temps de boire une gorgée de café et il reprend, « à l’heure actuelle, on n’a quasiment plus rien, certains ont repéré rapidement les bonnes affaires, ça ne s’est pas arrêté depuis ce matin, j’ai eu un client avec 10 Nintendo 3DS XL qui me disait qu’il allait les revendre à un bien meilleur prix que lors de cet achat, on sait que certains en profitent, c’est évident, mais que voulez-vous faire ? », conclut-il.

À l’heure actuelle, il n’y a donc plus de livraison, pas de réassort possible, car le stock est « intégralement sur les présentoirs. Sauf surprise, je ne sais même pas comment on va faire pour tenir jusqu’au 20 janvier, avec des cartes iTunes ? », déclare-t-il le sourire au coin des lèvres. Cette fermeture est un « fiasco » selon Christian, « ce n’est pas à cause du piratage, GAME n’a pas su évoluer, depuis que je suis dans la boite, lorsque quelqu’un de la direction vient nous voir, on a l’impression de parler à un mur, à des gens qui ne connaissent rien au jeu vidéo, qui pensent que ça se vend comme des fruits ou des légumes avec si possible un maximum de profits », mais qu’aurait-il fallu changer alors ? « Je ne me prétends pas donneur de leçon, mais déjà, proposer un prix bas sur le site internet, et ne pas le répercuter en magasin, c’est suicidaire. Micromania ont compris que s’ils voulaient garder un rythme soutenu en boutique, il ne fallait pas que le site internet devienne son propre concurrent ». Un triste constat qui vient aussi s’ajouter au bilan économique plus que négatif de GAME qui n’a jamais réussi à trouver l’équilibre.

Les clients qui râlent ? « Rien à foutre »

Après cette journée où quasiment tous les clients lui ont demandé pourquoi il y avait autant de rabais, on sent une certaine lassitude : « En fait, je ne suis pas blasé, mais j’ai eu des réactions parfois phénoménales. Si certains étaient compatissants et regrettait finalement un peu, on en avait d’autre qui nous criait dessus en nous accusant que "de toute façon ce n’est que de votre faute", comme si nous, vendeur, on y pouvait quelque chose dans les prix de la distribution physique ». Mais alors que les achats de consoles se multiplient, la question qui revient souvent c’est que va-t-il advenir de la garantie ? « Pour Nintendo et Microsoft, c’est directement auprès d’eux qu’il faut voir, en revanche pour Sony, ils n’ont pas de support dédié, ils passent par un sous-traitant et il faut obligatoirement passé par l’endroit où l’on a acheté la console pour espérer qu’elle soit réparée, donc ces clients-là ne pourront pas profiter du SAV de Sony, et achètent une console sans garantie en somme ».

Une première journée qui laisse une interrogation dans l’air : « Aujourd’hui, on n’a plus rien, si ce n’est du catalogue bas de gamme que personne, même avec une grosse réduction, ne va acheter. On va toutefois proposer des réductions allant jusqu'à -80% pour tout écouler. Et les gens qui râlent, car on a pas de stock alors qu’on affiche les boites en rayons sans comprendre que ce n’est pas de notre faute à nous si on ferme le magasin, et bien qu’ils aillent se faire foutre ». Un constat critique, des mots bien forts et un avenir morose : « s’il est très difficile de retrouver du boulot aujourd’hui, je ne compte pas postuler chez Micromania, il y a des méthodes beaucoup trop discutables, et j’avais ma petite équipe soudée jusqu’à présent, j’ai peur de ne plus m’y retrouver, je changerai sans doute de milieu ».

Merci à notre interlocuteur de nous avoir répondu lors de cette entrevue.

*Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé