Troisième production de l'équipe toulousaine de Dogbox Studio, Journey to Hell, est édité par Bulkypix. Il vient tout juste de sortir et nous avons pu rencontrer Fabien Togman et Alexis Deschamps (les co-fondateurs) dans leurs locaux à Toulouse afin d'en apprendre plus sur les méthodes de travail et la genèse du titre.

Pocket Gamer France : On va commencer par la question que tout le monde doit vous poser, Dogbox Studio, c'est qui, c'est quoi?
Fabien Togman :
Eh bien, c'est un studio graphique qui, à la base, vivait surtout de prestations. Ça marchait plutôt bien, mais on avait envie de passer à autre chose. Il faut rappeler qu'on est tous les deux issus du milieu du jeu vidéo, alors tout naturellement on a décidé de se lancer dans l'aventure. Alexis Deschamps : Oui, ça s'est décidé très vite. Un soir autour d'un verre on s'est dit pourquoi pas. On a les connaissances, les compétences et on est passionné. Donc ça ne peut que marcher. On a alors commencé à plancher sur notre premier jeu : c'était la genèse de Hydra, qui restera finalement dans les tiroirs et les débuts de Chicken Doom. Aujourd’hui Dogbox Studio c’est une petite quinzaine de personnes, toutes avec leur expérience et leur motivation. On a des anciens de chez Ubisoft, Guerilla Games, Ankama… Notre objectif c’est de faire du AAA, donc on a l’intention de grandir encore. Chicken Doom était votre premier jeu? Pourtant il me semble que vous aviez sorti XField Paintball juste avant…
Fabien :
Oui, c’est vrai, XField Paintball est le premier jeu que l’on a sorti, mais on a créé tout l’univers de Chicken Doom avant de travailler sur ce titre. En fait, XField Paintball a été une bonne opportunité. On a bénéficié d’un partenariat avec une boite de paintball de la région et du coup on en a fait un jeu. On a également eu le soutien d'un éditeur du coin, PCB Games avec qui nous avons pu réaliser une coproduction. On est d’ailleurs super fier, parce que même sans aucune mise en avant d'Apple il s’écoule relativement bien. Alexis : Oui et la communauté autour est très active. On a beaucoup d’échanges avec elle, ce qui nous permet de peaufiner l’ensemble et de corriger les bugs et les défauts. On se sent proche des joueurs et c’est super important pour nous de connaitre leur avis et d’en tenir compte.

J’ai l’impression que vous êtes très complémentaires, vous nous racontez votre rencontre ?
Fabien :
Complémentaire ? Oui, c’est vrai on fait une belle équipe, en fait on passe tellement de temps ensemble qu’on pourrait croire qu’on est marié (rire). On s’est connu en 2010. À l’époque j’étais à mon compte, je faisais de la presta graphique et un jour je me suis retrouvé avec deux contrats dans les mains en même temps. Impossible de les honorer tous les deux tout seul. J’ai donc cherché un graphiste qui bossait vite et bien. Alexis : Et pas cher (rire) ! Fabien : Oui c’est vrai. Depuis on ne s’est pas quitté. D’ailleurs, et c’est le hasard complet, on habite à deux pas l’un de l’autre. La question qui brule les lèvres de tous les lecteurs, pourquoi Dogbox Studio. D’où vient ce nom ?
Ha ! Y’a plusieurs explications, mais la plus proche de la réalité, c’est celle-là. À l’époque où on faisait de la prestation, on avait tendance à ne jamais lâcher le morceau. On savait ce qu'il fallait faire et certains clients voulaient aller dans une direction défavorable à leur projet. Alors un peu comme des chiens fous avec un os, on se battait pour que nos idées soient conservées. Ça nous a valu le surnom de Dogs. Et puis il y a aussi l’idée de la niche. Notre studio c’est un peu la niche des créateurs, c’est ici qu’on passe le plus clair de notre temps et c’est aussi ici que l’on aide nos stagiaires, nos freelances et nos salariés à faire leurs premières armes. Sans oublier que "niche" en anglais se traduit, littéralement par ... Dogbox. Un nom bien trouvé donc. Une petite question sur les raisons de votre présence dans le Grand Sud. Fonder une boite de jeu vidéo à Toulouse ça n’est pas commun, ça ne vous a pas posé de problèmes ?
Nos motivations étaient de rentrer chez nous. On est d’ici et on voulait y revenir. Il faut dire que dans le jeu vidéo, il ne faut pas avoir peur de se déplacer, mais au bout d’un moment, on finit par se lasser et on veut se poser. On ne peut pas dire que c‘est un choix stratégique, mais plutôt personnel. Bon après on n’est pas le seul studio dans le coin. Il y a Level Up, KoolFing… Par contre là où on tient à pousser un coup de gueule c’est sur le soutien de la région et de la mairie. On peut comprendre qu’il n’y ait pas de structure pour nous accompagner dans la création parce que c’est un secteur peu développé ici, par contre il n’y a eu aucune aide financière, ni aucun accueil bienveillant. En fait on nous a même incités à ne pas monter Dogbox Studio. Ça n’intéresse personne le jeu vidéo ici, il n’y en a que pour Airbus et l’Aérospatiale. Pourtant on a créé de l’emploi et on favorise le développement d’une industrie en pleine croissance. On est vraiment déçus, mais on compte bien se battre jusqu’au bout pour réussir. Peut-être que leur discours changera une fois qu'on aura démontré de quoi on est capable.

Bien, changeons de sujet. Il y a quelques mois vous avez lancé Chicken Doom en partenariat avec Bulkypix, quelle expérience en retirez-vous ?
Une excellente expérience, d’ailleurs si ça n’était pas le cas on ne travaillerait plus ensemble. Ce sont des gens passionnés et qui connaissent leur métier. Ils sont compréhensifs, à l’écoute et ne cherchent jamais à entraver le processus créatif. Bien sûr ils donnent leur avis, mais ils ne nous ont jamais imposé une idée ou un choix et ça, c’est très appréciable. On conserve l’identité que l’on souhaite donner à notre jeu. Chicken Doom est arrivé après XField Paintball et juste avant Journey to Hell. Que s’est-il passé ? Son univers cartoon et délirant n’a rien à voir avec ce que vous faites d’habitude.
Fabien :
(rire) Oui c’est vrai, Chicken Doom c’est un peu l'ovni. On voulait tenter autre chose, c’était une expérience et on a planché longtemps sur son univers. Disons qu’on voulait faire un titre simple et rapide à jouer. Alexis : On s’est bien amusé à le faire et même si ça n’est pas le genre de jeu vers lequel on tend, il n’est pas impossible qu’on renouvelle l’expérience un de ces quatre. D’ailleurs au passage, si l’accueil a été mitigé, le jeu a tout de même été beaucoup apprécié pour son mode coop même écran. On reçoit des mails de parents qui nous disent y jouer avec leurs enfants. Ça nous fait très plaisir. On en arrive à Journey to Hell. Vous pourriez nous le présenter brièvement ?
Journey to Hell, c’est l’histoire de deux personnages qui bossent pour une confrérie secrète chargée d’éliminer les démons qui sévissent sur Terre. Évidemment tout ne va pas se passer comme d’habitude et un démon de niveau supérieur va menacer la planète. On voulait faire un TPS nerveux et instinctifs avec un univers fort. D’où vous est venue l’idée du jeu ?
Alexis
: Sur la route. On faisait un trajet en voiture et on discutait quand l’idée a surgi tout à coup. On voulait faire un jeu avec des Zombies et on n’avait pas mal d’assets déjà créées. On s’est dit pourquoi ne pas faire un petit jeu rapide en une quinzaine de jours. Finalement le projet a grossi et s’est transformé en production triple A. Au passage, il est intéressant de noter qu'on n'a finalement rien gardé des éléments déjà existants. On est complètement reparti de zéro pour la version commerciale. Fabien : Oui, d’ailleurs il faut rappeler qu’on a eu le soutien de Audiogaming pour toute la partie son et que ça nous a beaucoup aidés. À la base, AudioGaming est une société qui développe une technologie de sonorisation procédurale et dynamique. Leur outil permet donc de faire évoluer, les musiques et les bruitages en fonction de l’action. À l’époque quand on les a rencontrés ils avaient été impressionnés par les décors qu’on avait créés et ils nous ont demandé s’ils pouvaient s’en servir pour leur démo technique. Quand ils ont fait la présentation de leur technologie à la GDC, on a eu des retours très positifs sur ce qu'on avait produit et ça nous a confortés dans l’idée que Journey to Hell avait un énorme potentiel.

On se doute que le développement n’a pas dû être facile, des souvenirs ou anecdotes sur les moments les plus difficiles du projet et sur ceux que vous avez le plus appréciés? Évidemment il y a dû y avoir de bons moments aussi et vous avez certainement envie de les partager avec nos lecteurs...
Fabien :
Un développement de jeu, c’est beaucoup de bonheur. Le cerveau est en ébullition pour être toujours plus créatif, artistiquement, et techniquement. Les contraintes, surtout sur mobile, sont très fortes, et nous devons faire turbiner nos cerveaux à 200% pour trouver des solutions d’optimisation afin de faire tourner ce qu’il semble impossible de faire tourner sur une telle plateforme. Bien sûr, cet aspect stimulant présente un revers de médaille. Nous sommes une petite équipe et nous avons des ambitions qualitatives énormes, du coup tout le monde doit s’investir à fond et toucher à plusieurs corps de métier. Et en fin de production, c'était dur de garder les yeux ouverts devant son écran ! Alexis : (rire) Les bons moments c'est lors de l'élaboration de l'univers, la recherche d'idées, de concepts gameplay... Mais le plus dur c'est lorsque vous vous dites "Cette idée est géniale vite on la rédige!" mais une fois mise en place dans le moteur on se dit "et ben c'était mieux sur le papier...." (rire). Il faut faire preuve d'une patience infinie lorsqu'il  faut refaire des boucles de gameplay entières...des heures et des heures à monter et démonter nos concepts in-game, et ça, c'est vraiment fatigant. Si vous deviez citer les points forts de Journey to Hell, ceux qui le rend plus marquant que d’autres titres, vous diriez quoi ?
Il y en a beaucoup, mais je pense qu’on pourrait citer, son univers mature et marqué, ainsi que son ambiance qui emprunte beaucoup aux films de genre et aux séries B des années 1990, la richesse de son contenu (cinq modes de jeu et une quarantaine d’armes), les originalités du gameplay telles que les balles gyroscopiques, le son procédural, la bande-son composée par un groupe toulousain, la technique…

Un dernier mot sur Journey to Hell. Lors de notre test, nous avons pu découvrir un mode de jeu original, appelé « Treasure ». Vous pourriez le présenter à nos lecteurs et nous dire ce qui vous a amené à le développer ?
Fabien :
Ah ben justement ça rejoint ce que l’on disait tout à l’heure. À l’époque où AudioGaming a été impressionné par les décors. Ils trouvaient cela dommage que l’on ne puisse pas se balader librement dedans. Du coup on a développé une feature permettant de contrôler la caméra par gyroscopie et après coup on s’est dit que ça pourrait s’insérer dans le jeu. Du coup on a ce mode alternatif dans lequel le joueur peut partir à la recherche de trésors et objets cachés qui auront une utilité directe en jeu. Alexis : Et il faut rappeler le fonctionnement : on contrôle la caméra en bougeant l’appareil. Il faut pivoter sur son axe pour faire tourner la caméra. Du coup tous les testeurs qui ont essayé ce mode donnaient l’impression d’être complètement happés par le jeu. On n’est pas loin de la réalité virtuelle. Au vu de l’engouement autour du titre, on se doute qu’il a déjà trouvé son public, mais avez-vous d'autres projets dans vos cartons ?
On a pas mal de projets en tête. Plusieurs qui sont en train de se concrétiser et dont ne peut malheureusement rien dire. En tout cas on sait déjà qu’ils devraient faire pas mal de bruit et puis il y a notre bébé Hydra. Ça fait des années qu’on travaille dessus et c’est vrai qu’on a un peu peur de se lancer. C’est un titre qui devrait révolutionner pas mal de choses dans le jeu vidéo notamment la relation entre le joueur et le monde réel. Il est actuellement en cours de conception et on cherche des partenaires pour nous épauler. Pour le moment, vous pouvez déjà voir quelques visuels sur notre site. Un petit mot à faire passer?
Merci pour cette rencontre ! Que vive le jeu vidéo indépendant ! Merci pour vos réponses.
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